vendredi 13 juin 2008

À Lubumbashi, suivre les traces des Léopards *


* nom improvisé donné aux génies congolais de la photo
ou « Comment le lion a mangé le croco »

Bien des pluies ont rincé les bambous du Mayombe.

Après la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar en 2004 et les Rencontres de la photographie de Bamako en 2006, Léopard Valloni a lâché cette semaine son Toxico de vélo pour prendre le vol de Brazza, traverser les tumultes du fleuve Congo, faire un saut de puce à Kinshasa et rejoindre Lubumbashi…

Lubumbashi ! Qui vit sa première édition de Picha (ou image, les Rencontres de l’image) et accueille en ses terres des artistes de la sous-région plus vivants et inclassables que bien des photographes sur le globe. Oui, c'est là que Valloni fait escale, pour présenter sa nouvelle loi, son « Article 15 » des scènes urbaines ultra-ordinaires, sa lecture personnelle des combats de chiens dans les ruelles ensablées de Pointe-Noire, les rires mêlés de cris des vendeurs sous la lune en brume, nomades de la lune.

Valloni se réfère dans le projet qu’il présente, à l’article 15 qui avait inspiré Beta libanga de Pépé Kallé, un éléphant de la musique congolaise en RDC, dans les années 1980-90. À cette époque, Mobutu avait prononcé ces mots : « Qu'on soit jeune ou vieux, on est tous en face d'une même réalité ; la vie difficile, le cauchemar quotidien. Que faire, sinon se référer à l'article 15 ? Débrouillez-vous pour vivre à Kinshasa ! ».

Donc c’est de presque rien, que ces Léopards de photographes nous parlent là. La décomposition de la lumière dans une flaque de pétrole, aux abords du rond-point Lumumba, la semelle foutue d’une paire de grolle improvisée, rafistolée, refabriquée. Pas plus et pourtant aussi béant qu’un océan.

Le regard du Léopard, ce n’est pas révolutionner une législation congolaise à la dérive, qui depuis la nuit des temps a repoussé de son sein les enfants qu’elle n'a pas même regardé pousser. Ce n'est pas plus alimenter les rêves fanatiques des enfants perdus dans la nuit, qui attendent patiemment leur heure pour violer à leur tour. C’est simplement observer cette proie qu’est la réalité pour mieux la comprendre, la pénétrer {et la capturer}. Le boîtier du Léopard enferme ces narrations à la force inouïe, il les a dévorées.

Léopard de l'invisible, caressant la peau d’une société qui n’a plus guère que Dieu comme espoir. Na Kongo, le fruit si doux de l’arbre à pain ne nourrit ni poètes, ni sauvages, ni fous. Débrouillez-vous avec vos étoiles, allez mordre du vent, hurlez-vous la transe et faites en rang le canard aux portes de poussière, pour un bout de papier mal imprimé (marqué « Artiste », maaamé...).

Voilà ce qu’est la condition d’un Léopard né muvili, mubembé ou pire encore mulâri. Et pourtant le choléra ne fait pas la distinction de genre. Le fil résiste ou se casse mais le client ne choisit pas.
Il s’agit donc ici d’une essence dans l’univers, égale à celle des bois précieux qui disparaissent des massifs forestiers congolais. Ici la vie continue à transpirer de tous ses pores, et danser et chanter sont un seul et même mouvement, ardent.

Dans un petit atelier du quartier Foucks de Pointe-Noire (le Studio sans Frontières), il existe un autre Léopard, libre médiateur des scènes les plus opaques qui arpente lui aussi la sous-région d’Afrique centrale : Liévin Matadi Mukasa. Devenu photographe dans le courant du grand fleuve de sa vie, Liévin est tombé dans l'art sans le vouloir, parce que le vrai Léopard est celui qui ne s'exprime pas pour proclamer, mais qui commence par remercier la parole, et l'air qui lui permet de la propulser. C'est bien ça papa ?

Donc forcément, le littoral du Congo-Brazza en a bien voulu de ce Léopard-là, lui qui venait de Kinshasa. Rien de l'existence n’a ôté à son regard toute l’eau qui coule au royaume d’enfance. Il a votre âge et le mien, évolue doucement entre les dédales urbains et les cathédrales de mangrove, pas loin de l’embouchure du Kouilou.



Mais la soif du Léopard dans tout cela ? Que devient-elle ? Que boit un Léopard à crocs de la Ngok' lorsqu’il se produit à Lubumbashi ? La Simba pour sûr, qui est la boisson des fauves (simba ou lion en lingala) et qui laisse une saveur blonde entre ses canines.

On souhaite un très (très) long parcours à ces fauves de forêts : griffez, chicottez et comme dirait Pépé Kallé « Ne soyez pas pressés ». Vous les étoiles équatoriales, bientôt les branches de l’okoumé s’écarteront sur votre passage.

Photo : www.tangophoto.net/TIMEZONE-SITE/damoison/source/028.htm
(Merci à Liévin Matadi et à David Damoison)

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