vendredi 22 mai 2009

La BD : un phénomène congolais



Vivre à l’ombre du grand frère : la BD au Congo-Brazza

En matière de BD, il est difficile de se faire remarquer quand on est le voisin de la RDC, l’un des plus grands pays d’Afrique en matière de production de talents graphiques. C’est le cas de la République du Congo, que l’on appelle communément Congo-Brazza. Pourtant, le genre est bien réel au Congo, mais encore à l’état embryonnaire en terme de véritables publications. La création de nouvelles planches fourmille aux quatre coins des deux principales villes, Brazzaville et Pointe-Noire, mais les imprimeries fonctionnent à des prix exorbitants. Ainsi, les planches restent dans les tiroirs et ce n’est que lorsque l’on manifeste un intérêt pour ces travaux en gestation en allant fouiller dans les recoins, que l’on peut mesurer la qualité des travaux des bédéistes actuels. D’autres contraintes freinent l’éclosion du genre et sa représentation au monde : la difficulté de diffusion des œuvres à l’échelle nationale et internationale, l’ignorance des éditeurs en matière de publication de BD. Pour ne pas rester dans l’amateurisme, certains bédéistes de talent publient leurs planches en Europe, quand ils ne décident pas d’aller y vivre, comme c’est le cas de Willy Zekid, dessinateur pour Planète jeunes ou de Bob Kanza, tous les deux passés entre temps par la Côte-d’Ivoire et le journal satirique Gbich ! Les auteurs manquent globalement de reconnaissance et de soutien, tant financier que moral, des instances culturelles de leur pays. Les limites du genre se situent également dans un manque de maîtrise dans l’écriture du scénario, situation assez classique en Afrique francophone.

Les débuts de la BD au Congo-Brazza remontent à Kizito, bulletin pédagogique et d’information de l’église catholique des Martyrs de l’Ouganda, qui racontait la Bible en images. Les premiers numéros voient le jour à l’époque coloniale, en 1956-57. Des illustrateurs variés y ont participé dont le peintre ponténégrin Michel Hengo. La publication cessera au début des années 1970. Il y eut un grand vide jusqu’au milieu des années 1980 où apparut le véritable père de la BD congolaise : Jérémie Bindika. Décorateur puis scénariste à la Télévision nationale, celui-ci crée dans son quartier de Poto-Poto à Brazzaville le premier personnage de BD congolais, Muguma alias « Petit piment », qui n’a de cesse de braver les dangers des plus forts que lui. Publiées de manière autonome et à ses frais avec l’éditeur Miénandi, Les Aventures de Petit piment deviennent pour l’auteur prétexte à restituer les légendes et contes traditionnels issus de la littérature orale d’Afrique centrale et connaît en deux numéros seulement un immense succès avec un prix de vente de 600 Fcfa. On en parle encore aujourd’hui puisque c’est en fait la première expérience de publication d’un album de BD sur le sol congolais.

Puis ce fut le début du journal pour la jeunesse Ngouvou, créé et dirigé par Ferdinand Kibinza à la fin des années 1980, avec l’aide de différents soutiens financiers dont la coopération française. L’objectif était de contribuer à redresser le système éducatif et à hausser les habitudes de lecture, au collège en priorité. Doté de 36 pages et tiré jusqu’à 7 500 exemplaires, Ngouvou servait de support pédagogique pour les professeurs. C’est notamment à travers Ngouvou que les enseignants ont utilisé pour la première fois la BD en classe. Aujourd’hui, les 51 numéros existants jouent encore ce rôle mais l’association « Les amis de Ngouvou » ne publie plus depuis 2004. Faute de financement. Ngouvou ne fut jamais réellement une revue de bande dessinée. Celle-ci n’y était qu’une rubrique parmi d’autres et pouvait, le cas échéant, servir de support pour faire passer des messages. Bindika y a été l’initiateur du genre dans les premiers numéros de Ngouvou où il publie la série Le Redoutable en épisodes jusqu’au numéro 14 (1991), avant de décéder en 1995. Pendant des années, il sera le seul Congolais à dessiner en continu dans Ngouvou. En l’absence de ressources sur place, l’équipe rédactionnelle fera appel quasi-exclusivement à des dessinateurs de RDC (à l’époque Zaïre) jusqu’en 1992-1993. Ce sera tout d’abord Cap sur la capitale de Tchibemba qui sera la première série publiée, en épisodes grâce à la coopération française. En tant qu’éditeur de l’album, le service de coopération (l’ambassade de France ?) avait cédé les droits de reproduction pour l’ensemble de la série (15 épisodes). Puis, le journal fera appel au lushois Muze-Tshilombo , créateur de la série Patou et Hippolyte et à un certain Ken, probablement du Zaïre lui aussi, qui disparaîtra des colonnes en 1993, sans que l’on ne sache ce qu’il est devenu. Enfin, Kizito viendra également compléter l’équipe à partir de 1991 avec la série Nyota du firmament. Ngouvou publiera également des séries d’auteurs européens dont les droits de reproduction ont été proposés gracieusement par l’éditeur de Kouakou : Segedo.

De 1988 à 1996, Ferdinand Kibinza organise des sessions de formation dans les classes à l’attention des enseignants de collège, afin de vulgariser la BD comme genre littéraire à part entière et susciter son exploitation de comme support d’apprentissage de la lecture. En collaboration avec l’INRAP, dans sa cellule de formation permanente des enseignants, une journée par semaine de formation continue est dispensée. De manière continue, l’INRAP fut la tutelle pédagogique de Ngouvou tout au long de son existence.

En 1993, Bernard Dufossé, scénariste et dessinateur de Kouakou, vient donner une formation pendant une dizaine de jours aux bédéistes de Ngouvou et d’autres magazines de Brazzaville. Il axe en particulier son travail sur le dessin et la traduction d’un scénario en images, en prenant pour support de travail L’Or de Karibi, un conte traditionnel retranscrit et interprété collectivement par les participants pour reconstituer l’histoire complète. Ce travail sera publié dans Ngouvou. C’est dans le vivier de dessinateurs né de ce stage qu’une nouvelle génération de bédéistes nationaux commença à faire ces armes au sein de Ngouvou.

Fortuné Kombo (dit Djobiss) fut l’un des premiers (avec Willy Zekid) à publier ses planches dans Ngouvou. Maquettiste au CCF de Brazzaville, caricaturiste à ses débuts au Journal Le Temps, qui cessa de paraître avec la guerre en 1997, il développe à travers le dessin son sens de la critique et de la dérision. Il a cultivé depuis ses débuts différents styles dans ses traits, qu’il est capable de faire varier en fonction du contexte de création : satire, dessin de presse, sagas historiques, BD pour la jeunesse… Il recevra notamment une formation de Barly Baruti en 2001, à l’occasion de Lire en fête. Djobiss a également publié un recueil de 13 planches accompagnées de jeux (Ouarry Boud n°1 en 2001) et une rétrospective de ses caricatures en 1996 (À travers le temps).

Teddy Lokoka est un dessinateur venu de RDC à Brazzaville. Il fait ses premiers pas dans le quotidien La Semaine africaine où il reprend le personnage caricatural de Zoba Moke (ce qui veut dire « petit idiot ») créé par Adolphe Cissé Mayambi en 1993. Zoba Moke est un congolais moyen qui passe son temps dans la rue, aborde des questions sociales avec morale et parle malgré sa naïveté, de choses sérieuses. On le retrouve une fois par semaine à la 16e page du journal : une à deux bandes horizontales qui requièrent une demi-page mais ne garantissent pas de rémunérations pour l’auteur. Bring de Bang reprendra la série par la suite. Invité au 2e (1998) et au 3e (2000) salon de la BD de Kinshasa, Teddy reçoit un financement du ministère congolais de la Culture et des Arts pour publier un premier album, AL, qui raconte le parcours de son héros, Albert Mafuta, « défenseur des droits de l’homme et ennemi du mal ».

Cyriaque Goma a fait ses premières armes dans la technique du portrait. Il intervient simultanément à Djobiss, Zekid et Teddy dans Ngouvou en 1995, avec L’École et Nous dans le n° 32 et Savorgnan de Brazza, une série historique, dans le n° 34. Par la suite, il se spécialise dans le genre historique, et crée trois numéros de Raconte-moi le Congo, une fresque historique de 8 pages en noir et blanc, vendue dans les quelques librairies de Pointe-Noire et de Brazzaville. En novembre 2007, à l’occasion de Lire en fête, il présente ses planches dans le hall du CCF de Brazzaville, et propose dans le cadre de cette exposition collective, quelques repères historiques sur la capitale.

Willy Zekid
fait ses premiers pas juste après Jérémie Bindika dans les pages de Ngouvou, au tout début des années 1990. Par la suite, il devient illustrateur du Journal des jeunes pour les jeunes, créé en 1996 et mis en vente en association avec Planète jeunes au Congo. Zekid poursuit sa carrière de bédéiste à Abidjan avec le journal Gbich ! C’est là qu’il crée le personnage de Cauphy Gombo, qui devient par la suite un film en Côte-d’Ivoire. Arrivé en France, il est découvert par Planète jeunes, et créée Takef. Il fait aujourd’hui référence au Congo et l’on présente parfois ses planches comme support d’apprentissage dans les quelques ateliers BD de Brazzaville.

Bring de Bang (Pansime Brigès Biakou) est un artiste polyvalent qui s’investit aussi dans la musique. Il est reconnu à Brazzaville pour être un artiste à part entière et l’un des plus talentueux de la jeune génération. Il reçoit une formation à l’illustration du livre scolaire à Tunis en 2001, puis se met à illustrer des romans comme celui de Zoungo Bongolo publié en 2006 chez l’éditeur franco-congolais Paari, Un Africain dans un iceberg ou La Guerre civile du Congo-Brazzaville (Karthala). Alors que le style de Bring en matière de BD est très typé et identifiable, sa pédagogie dans le cadre de ses formations tend davantage vers le mimétisme et la reproduction plutôt que vers la création. Il fait ses armes dans La Semaine africaine en 1998 (après Teddy Lokoka) puis dans le mensuel (devenu quotidien en 2007) Les Dépêches de Brazzaville et dans l’hebdomadaire Présence économique, mais davantage en tant qu’illustrateur que véritable bédéiste . En 2007, il est sollicité, avec Willy Samba, par Dieudonné Niangouna et Abdon Fortuné Koumba, initiateurs et responsables du festival de théâtre Mantsina sur scène à Brazzaville, pour réaliser une série de planches format A1. Un devis de création est commandé et les planches deviennent la propriété de l’association. La BD s’appelle Mantsina sur scène, L’Histoire et raconte la gestation de ce projet de festival, qui a lieu chaque année en décembre, ainsi que l’accueil que lui réserve le public. Une exposition a eu lieu au Cercle Sony Labou Tansi de Brazzaville en décembre 2007. Miss Laden et Milet Walker font également partie de la toute nouvelle génération de bédéistes (à peine 20 ans) qui font leurs armes dans les derniers numéros de Ngouvou .

Face au constat du manque de cohésion dans l’univers de la BD et du dessin de presse, le collectif ACPBD se forme à l’initiative de deux bédéistes ayant participé à l’aventure Ngouvou : Djobiss et Teddy Lokoka. Ceux-ci considèrent qu’à partir de 1995, la place de la BD diminue dans Ngouvou et qu’une baisse de qualité des planches se fait ressentir. L’invitation par Barly Baruti à participer au 3e salon de la BD de Kinshasa est l’occasion de nombreux échanges avec les bédéistes locaux, qui ignoraient tout de la BD au Congo-Brazzaville. Une visite qui achève de motiver Djobiss à la création d’un espace de travail pour fonder l’ACPBD, à l’exemple de l’ACRIA de Kinshasa et en étroite interaction avec Lokoka dont il est très proche grâce à leur expérience commune avec Ngouvou. Autant que possible, du matériel est mis à la disposition des membres et des formations, stages et demandes de bourses sont formulées au nom de l’association. Plusieurs autres dessinateurs les rejoignent : Richard Mahoungou (alias Mahoust T), Miss Laden, Milet Walker…

En 2002, ils créent l’association ACPBD, association à caractère socioculturel, qui a pour but « de promouvoir la BD et les échanges culturels et artistiques avec d’autres associations, de stimuler la créativité des jeunes artistes du collectif en publiant leurs planches, d’organiser des ateliers de création, de recherche et d’initiation à la BD, de publier des revues de BD en partenariat avec des ONG et institutions locales, d’éduquer les jeunes lecteurs à l’information et de susciter l’entente, la solidarité et la curiosité vis-à-vis de leur propre culture ». En novembre 2003, ils lancent le N°00 du premier fanzine de l’association : Super Mokoua, Bimensuel de sensibilisation et d’éducation, entièrement dessiné par Djobiss. Ce magazine était très influencé par Bleu Blanc, la revue pédagogique kinoise de Kizito. Celui-ci publiera certaines planches de l’ACPBD dans ce journal. Malheureusement, la publication du n° 1, aujourd’hui à sa phase finale avant impression, est restée en suspend faute de moyens… Il se passe la même chose pour le magazine Mbongui BD qui connaît un premier numéro en 2005 sans que le deuxième ne puisse voir le jour. Pourtant, planches, synopsis et scénarios sont prêts mais l’éditeur qui a choisi de mener le projet, Mokand’Art, est en attente de financement. Seul le SCAC apporte sporadiquement son appui à quelques projets, de manière isolée et parfois arbitraire, c’est par exemple le cas en 2006 où à l’occasion de la journée de la francophonie, le CCF édite Image, une sorte d’anthologie de planches inédites d’auteurs congolais : Djobiss, Cap. Punisher, Jussie Lamathd, Dedebe (Didier Bessongo) et Mahoust T.

En parallèle, l’ACPBD mène des actions dans plusieurs domaines : participation de Djobiss à la 32e édition du festival d’Angoulême (2005) ; organisation d’un atelier de résidence sur le thème : Quelle BD pour la jeunesse congolaise ? pour 10 artistes (et 14 non initiés) en 2007 ; encadrement par Djobiss et Teddy de l’atelier BD pour enfants de Jacqueline Kerguéno au CCF de Brazzaville, en décembre 2004 ; organisation dans l’enceinte du CCF de Brazzaville, en juillet 2005, d’une session sur le thème « De l’idée à la BD », duquel naît un collectif de 26 membres nommé « Génération Elili ». Malgré l’absence de rémunérations et de reconnaissance, l’ACPBD tente d’initier un travail dans la durée pour ses artistes. Ce travail a permis la constitution d’un collectif, basé sur un parcours et des projets communs.

En 2006 naît Graphik’Noir à l’initiative de Franck N’Zila, infographiste de formation, qui est arrivé à rassembler autour d’un même projet un groupe de bédéistes de Brazzaville. Il a joué dans le quartier de Bacongo le « chasseur de têtes » auprès de jeunes dessinateurs motivés comme lui par le graphisme et l’univers du manga. Rapidement, il devient le moteur d’un groupe de six bédéistes aux styles et aspirations divers, dont Christ Koutiki, Yann Cardot et Yannick Kounkou. Un même objectif réunit les membres de ce collectif : la volonté de travailler ensemble à un même album et non plus, comme c’est le cas dans la plupart des initiatives en BD au Congo, de manière ponctuelle et isolée. Dans un premier temps, l’autonomie financière est visée dans la production de fanzines publiés avec les moyens du bord. C’est ainsi que naît en 2004, le journal Yi wiri ! ou « C’est fini ! », satire de la société congolaise et de ses dirigeants. Yi wiri ! est une expression symboliquement forte pour les Laris du Congo (massacrés pendant la guerre dans leur région du Pool) et le titre du premier fanzine de l’association, qui compte trois numéros publiés entre 2004 et 2006.

Graphik’Noir choisit de travailler uniquement en noir & blanc. L’intérêt de cette démarche est de simplifier le processus de fabrication, en abaissant les coûts de reproduction sur papier. L’influence très nette du manga garantit l’intérêt du public pour les planches et des ventes de 100 à 200 exemplaires par mois. Les articles étaient rédigés par Fanck N’Zila et corrigés à l’extérieur par Vani Massa, rédacteur en chef de l’hebdomadaire satirique de Brazzaville La Rue meurt. Huit pages photocopiées en N&B, format A3 plié vendu 300 Fcfa, un tirage progressif en fonction des ventes, qui atteignirent 375 exemplaires pour le n° 3. Les canaux choisis pour la distribution ciblaient les fonctionnaires, partagés le plus souvent entre « étonnement et fâcherie », selon N’Zila. Après avoir rencontré un succès populaire dans les quartiers laris de Bacongo ou de Talangai à Brazza, Yi wiri ! a cessé d’être publié par crainte d’attirer l’attention des élus sur ce ton délibérément sarcastique. L’association ne peut publier aujourd’hui dans un rythme mensuel sans financement, étant entièrement responsable de sa publication et de sa distribution dans les points de vente de la capitale (qui gardent 10 % des ventes).

Par ailleurs, les Centres culturels français de Pointe-Noire et de Brazzaville n’ont jamais cessé de soutenir le 9e art local. Plusieurs initiatives ont eu lieu en dehors de celles déjà évoquées. Du 5 au 11 septembre 1999, le CCF de Pointe-Noire a exposé « La BD aujourd’hui en France », l’occasion de réunir les bédéistes de la ville et de proposer à cinq d’entre eux un atelier BD. L’objectif était de réaliser une planche sur le thème du Sida. La planche du lauréat, Stéphane Nzoulou, servit d’affiche à la 2e Semaine culturelle contre le Sida, à la fin de la même année. Puis en 2004, le CCF de Brazzaville hébergea le dessinateur P’tit Luc de passage dans la capitale. Il put y rencontrer et travailler avec plusieurs dessinateurs, dont les futurs membres de Graphik’Noir. Plusieurs concours furent organisés également : « Croquez l’an 2000 » en 1999, « Regarde la planche de dessins ci-dessous et remplis les bulles selon ton imagination. », un concours de scénario à destination du jeune public en 2000. Enfin, en mars 2007, un concours est lancé à l’occasion de la Semaine de la langue française. « Et si Hergé revenait… Imaginez la première page de ce nouvel album », à l’attention des collégiens et lycéens, qui écrivent un synopsis d’une page et réalisent une planche de format A4, noir et blanc ou couleur. Les lauréats sont exposés dans le hall du CCF pendant tout le mois.

En septembre 2007, ayant observé un manque de cohésion et de visibilité des quelques bédéistes de Pointe-Noire, ainsi qu’une forte demande du public, la bibliothèque du CCF de cette ville lance un concours à l’occasion de Lire en fête, consacré à la BD, sur le thème « Vues de Pointe-Noire ». Les lauréats sélectionnés participeront à une formation dispensée par Asimba Bathy, bédéiste kinois de talent, grandement impliqué dans le développement de la BD en RDC (lancement de nombreuses revues, création d’un atelier et du label « Kin Label »…) et sur le continent africain. Lors de sa première venue à Pointe-Noire, Asimba Bathy a donné une conférence publique sur l’histoire de la BD en Afrique centrale et ses perspectives et dispensé également deux jours d’atelier entièrement consacrés aux techniques de dessin : perspective, encombrement de l’espace, mouvement. Aux côtés de l’exposition « Chroniques kinoises » de l’association Tala-Tala/Entre deux mondes, des planches de l’ACPBD et de Graphik’Noir, les planches des lauréats permettaient de mettre les trois grandes villes de la région sud des deux Congo en regard.

Suite à cette expérience particulièrement enrichissante, un atelier BD est créé au CCF : les bédéistes repérés à l’occasion du concours (les lauréats, auxquels se rajoutent quelques talents arrivés par la suite) se réunissent tous les samedis après-midi pour travailler ensemble, grâce au matériel fourni par le CCF, mettre leurs projets en commun et réaliser de nouvelles planches : Odiphate Loukondo , Mick Mikamona, Hugues Loundou, Koutawa Hamed (KHP), Lionnel Boussi, Milandou Ntondele, Pathis Talansi, Freeman et Chrislain Kibendo. En février 2008, Asimba Bathy revient à Pointe-Noire, ce qui donne l’occasion de réitérer l’expérience de l’atelier, et de suivre la progression des participants. Le groupe subit quelques changements, certains bédéistes le quittant pour cause de désaccords avec les autres membres, d’autres s’y rajoutant. Le noyau dur fonctionne alors sur une dynamique de travail, d’encouragements et d’autocritiques constructifs. C’est à ce moment que la jeune Jussie Lamathd, l’une des rares jeunes femmes à dessiner de la BD en Afrique, rejoint le groupe. Bédéiste de Brazzaville, membre de l’ACPBD, elle avait déménagé à Pointe-Noire cette année là. Le groupe se lance dès lors dans le projet d’une exposition pour juin 2008 : « Les Dessous de Pointe-Noire » (dans l’espace BD du CCF). En regard des premiers travaux réalisés pour Lire en Fête 2007, ces planches montreront le fruit du travail réalisé à l’occasion de l’atelier qui en a découlé. Au courant de l’année 2008, les membres de l’atelier se constituent en collectif sous le nom de Ponton BD . Souhaitant les stimuler dans leur travail et leur donner une plus grande visibilité, le projet est lancé de les faire participer à une nouvelle exposition de plus grande envergure au CCF : défi leur est lancé d’investir en septembre 2008 le hall d’exposition, du sol au plafond en passant par les vitrines. Le parti est pris d’inviter à nouveau Asimba Bathy dans l’aventure, afin de pérenniser le projet. La rencontre entre un dessinateur et ce groupe de jeunes bédéistes permet d’acquérir plus d’expérience et de soutien. Durant deux mois, une grande latitude leur est donnée sur le matériel, les supports, les styles et les formes, afin de rassembler les travaux et conceptualiser l’agencement de l’exposition, dénommée « Carte blanche à Ponton BD et Asimba Bathy ». Cette exposition garantit une grande visibilité (vitrines du CCF, émissions radio et télévisées, presse en ligne, etc.), mais permet aussi d’étendre le champ des expériences : réalisation d’une fresque sur les vitrines, production de planches en grands formats, travail avec les slameurs de Styl’Oblique Congo (réalisation de planches illustrant des slams, ou de slams s’inspirant des planches, présentées lors du vernissage). Suite à cette expérience, KHP est repéré par le rédacteur en chef du magazine « Pointe-Noire magazine », qui lui accorde un article et la parution régulière de deux planches. Les dessinateurs bénéficient également de la visibilité du site Internet Congopage qui publie quelques planches dont celles de KHP, qui comme ses collègues n’avait encore jamais été édité. Ces traits sont d’une précision et d’un réalisme exceptionnel, comme il est précisé sur le site : « On atteint avec ce garçon les sommets de l’art graphique. Il possède un trait est sûr et expressif, ses découpages sont déroutants et ses cases sont déchirées et atypiques. Il possède un sens inné de la lumière et cette BD sans dialogues ni phylactères est novatrice dans un monde où on croyait que tout avait été inventé. KHP travaille au stylo bille et, aussi surprenant que cela puisse paraître, il dessine de mémoire et pas sur photos. » Son travail le plus marquant reste la réalisation d’un carnet « le duel fratricide », premier tome d’une production relatant la guerre civile qui a déchiré le Congo entre 1992 et 1998, même s’il produit également des histoires plus sentimentales .

La bande dessinée en République du Congo cherche donc à prendre son envol. Malheureusement, les dessinateurs congolais se trouvent confrontés aux problèmes classiques que rencontrent leurs collègues des autres pays d’Afrique francophone : une très faible implication des éditeurs privés et un manque de stabilité politique dans leur pays empêche tout développement économique. De plus, malgré une forte motivation, les contraintes de la vie quotidienne pèsent sur la régularité du travail engagé : cet art ne leur permettant pas de leur apporter un moyen de subsister, leurs emplois respectifs leur prennent du temps de l’énergie. En outre , pour ce qui concerne Pointe-Noire, on observe un isolement important par rapport à la capitale, où se situe l’ACPBD, avec qui les relations semblent inexistantes. Ce fossé est à l’image du pays dans son ensemble : la ville océane et la région du Kouilou restent, sur le plan physique, politique et culturel, isolées du reste des terres.

Dans le cadre du Sommet panafricain 2009, les responsables du Festival international de BD d’Alger prennent l’initiative d’éditer un album collectif, qui présentera les travaux de divers bédéistes africains et permettra à certains auteurs en manque de visibilité d’être enfin édités. C’est le rêve de beaucoup d’entre eux. Mais sans public et sans structure éditoriale, les bédéistes congolais sont condamnés à espérer un miracle, à émigrer ou à chercher des contrats d’appoint que peuvent leur offrir certaines ONG et coopérations internationales. Tout cela reflète une situation finalement assez similaire à celle de la RDC : des talents en pagaille, beaucoup de volonté et de courage pour s’en sortir et progresser et, au final, un très net sentiment de gâchis pour le 9e art local.

Si seulement un éditeur africain ou européen pouvait donner tort aux auteurs de cet article…

Amande Reboul
Christophe Cassiau-Haurie

Remerciements à Claire Wollenschneider et Asimba Bathy.

vendredi 15 mai 2009

Le dessin de presse au Congo-Brazza



Au Congo-Brazzaville, la plupart des dessinateurs de bande dessinée en activité ont fait leurs armes dans la caricature de presse. Pourtant ce genre – à l’image de la place qu'occupe la plupart des journaux populaires dans le paysage culturel congolais – reste peu représenté et conditionné par le pouvoir de l’État sur les médias. Ainsi, les dessinateurs qui publient aujourd'hui des caricatures dans un journal officiel se comptent sur les doigts de la main. Ils se battent néanmoins pour exister.


On voit apparaître les premières caricatures de presse dans La Semaine africaine, hebdomadaire innovant et objectif à sa création dans les années 1950. Ce n’est cependant qu’en 1993 qu’Adolphe Cissé Mayambi ouvre le bal, alors qu'il travaille au sein de la rédaction de La Semaine africaine. Le journal détermine alors un cahier des charges : créer un personnage caricatural mais apolitique, dont les aventures paraîtront une fois par semaine en seizième page du journal. C'est ainsi que naît Zoba Moke (« Petit idiot »), un congolais de classe moyenne qui passe son temps dans la rue, aborde des questions sociales avec morale et parle malgré sa naïveté de choses sérieuses.

Au départ d’Adolphe Cissé Mayambi, c'est le zaïrois Teddy Lokoka qui prend sa suite à Brazzaville pour fait vivre Zoba Moke dans La Semaine africaine. L'auteur occupe alors une à deux colonnes horizontales, soit une demi-page, qui ne lui garantit cependant pas de rémunération. Il poursuivra sa carrière dans la bande dessinée.

Une fois passée la main à Teddy Lokoka, Adolphe Cissé Mayambi continue son parcours de dessinateur de presse dans La Rue meurt. Après la Conférence nationale de 1991, qui se donne pour « mission essentielle de redéfinir les valeurs fondamentales de la nation et de créer les conditions d’un consensus national en vue de l’instauration d’un État de droit » et jusqu’au début des années 2000, ce journal satirique propose à travers quelques caricatures acerbes de porter un regard sur la vie politique et sociale de Brazzaville. Avec Petit David de Turbo, auteur du dessin comme du scénario, une brèche nouvelle est ouverte dans le domaine du dessin de presse.

Après la guerre, en 1998, on retrouve Zoba Moke grâce à la plume de Bring de Bang, auteur d’illustrations romanesques et témoin de la jeune génération de dessinateurs de presse. Outre ses illustrations dans La Semaine africaine, Bring fait également ses armes en tant que dessinateur dans le mensuel Les Dépêches de Brazzaville (aujourd’hui quotidien) et dans l’hebdomadaire Présence économique. À la différence de ses pairs, il ne s’implique qu’à temps partiel dans la création de bandes dessinées, passionné qu’il est de musique, mais devient rapidement le modèle d’une génération montante de bédéistes à Brazzaville, notamment les jeunes dessinateurs du collectif Graphik’Noir : Christ Koutiki et Yann Cardot.

Maquettiste de formation, Fortuné Kombo (alias Djobiss) fut l’un des premiers à pénétrer le milieu de la presse écrite à travers ses caricatures livrées au quotidien Le Temps avant la guerre civile, qui tournent en dérision les enjeux de pouvoir du microcosme politique congolais. Le journal ne survécut pas au conflit ; Djobiss publie alors une rétrospective de ses caricatures (À travers le temps en 1996) et choisit de diversifier son style en s'affirmant notamment dans l'univers de la bande dessinée. Il fait ensuite alliance avec Teddy Lokoka, afin de former de jeunes dessinateurs : le collectif ACPBD (Association congolaise pour la promotion de la bande dessinée) voit le jour en 2002. L’objectif est de stimuler la créativité d’une nouvelle génération de dessinateurs de Brazzaville en publiant leurs planches. Des auteurs de caricature s’affirment dans cet espace de travail, comme le Ponténégrin Richard Mahoungou (Mahoust T), Jussie Lamathd et Miss Laden. Les stages organisés donnent lieu à une publication : Mbongui BD, diffusée dans les librairies de Brazzaville et de Pointe-Noire ; et un fanzine : Super Mokoua, inspiré du journal Bleu Blanc créé par Kizito en République démocratique du Congo. Une fois de plus, la rémunération des artistes n’est pas d’actualité, mais le collectif poursuit ses efforts pour se structurer dans l’espace médiatique congolais et présenter des projets à la presse écrite nationale. La concurrence est loin d’être féroce, mais les illustrations diminuent néanmoins, jusqu’à disparaître aujourd’hui dans La Semaine africaine.

Dans un tout autre registre, le parcours de Willy Zekid est tout aussi intéressant à observer : entré dans l'univers du dessin sans formation préalable, Willy Mouele devient Willy the Caïd, puis Willy Zekid, artiste autodidacte et passionné. Étudiant, il réalise ses premières planches sur les panneaux de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville. Rapidement, il attire l'attention de ses camarades et choisit de dessiner sous pseudonyme, ce qui lui permet de protéger son identité civile et d'échapper à certaines pressions de l’université. Ses dessins de l’époque représentaient une lourde critique sociale, parce qu’ils mettaient en question la situation dramatique des étudiants boursiers, qui ne pouvaient poursuivre leurs études faute de moyens alloués par l’État. Nous sommes alors au tout début des années 1990. Avant que la guerre n’éclate, Zekid travaillait à plusieurs projets relatifs à la bande dessinée : dès 1992, dessinateur attitré de Ngouvou (Journal pédagogique pour la jeunesse créé en 1988 et géré par Ferdinand Kibinza) auprès de Muze et de Ken, il était aussi employé par Agricongo pour illustrer des documents de sensibilisation à la protection de l'environnement, et par la société d'exploitation des hydrocarbures Elf pour illustrer son journal mensuel Mbot'Elf. L’expérience traumatisante de la guerre et de l’exil politique en Côte-d’Ivoire a par la suite détourné Zekid de l’usage de la caricature politique. Il avait créé son premier personnage Nkrakounia pour le Journal des jeunes pour les jeunes, né en 1996 et mis en vente en association avec Planète jeunes au Congo. À l’heure de son départ en Côte-d’ivoire, il emmène ce personnage dans ses bagages et le rebaptise Papou pour l’hebdomadaire Gbich ! Cependant, il refuse systématiquement de dessiner pour des journaux locaux politisés, afin de s’intégrer dans la société ivoirienne. Habitué à faire vivre ses personnages dans un humour bien congolais, Zekid dût alors prendre ses crayons et passer du temps, beaucoup de temps, dans les quartiers populaires d'Abidjan, où traînaient les bandes de jeunes plus ou moins fréquentables... C'est là qu’il apprend à parler le nouchi, langage argotique de la rue imprégné d’habitudes sociales et d’expressions colorées, retranscrites par la suite dans ses scénarios : « C’est ainsi que Papou, né dans les quartiers populaires de Brazzaville, s’est mis à parler le nouchi ivoirien, comme un pro ! », raconte-t-il.

Venu d’un pays en guerre, Zekid entame avec l'équipe de Gbich ! une campagne de sensibilisation nationale sur la culture de paix, présentée sous la forme de dix panneaux illustrés et reprise par la presse locale. Mais cette initiative ne suffira pas à éviter les troubles militaires et civils, que connût la Côte-d’Ivoire au début des années 2000. Un nouveau départ, vers la France cette fois, amène peu à peu Willy Zekid vers la création d’une agence de graphisme. Selon Christophe Ngalle Edimo, président de L'Afrique dessinée, il reste le « terroriste de la BD, tueur à gags et pourvoyeurs d’armes de distraction massive ».

Le paysage nuancé du dessin au Congo-Brazzaville se compose en outre d’auteurs de fanzines satiriques. Ces dessinateurs mettent leurs efforts en commun pour publier de manière indépendante et commenter l’actualité nationale ou internationale à travers des caricatures d'hommes politiques. C'est le cas notamment du collectif Graphik'Noir, né en 2002 à Brazzaville et formé de graphistes et de bédéistes. Conscients de leur responsabilité vis-à-vis du public, le collectif tente d’introduire dans le débat des thèmes qui ne peuvent être abordés que sur le ton de l’humour : le mythe de la démocratie, la corruption, les différences culturelles à l’intérieur même du pays, à travers ses diverses ethnies, la vie sociale et ses injustices... Comme l’explique Franck N'Zila, né en 1977 et fondateur du collectif, « les lecteurs ne sont pas très au courant ici de toutes ces questions brûlantes qui concernent notre société ».

Dans un premier temps, l’autonomie financière est visée grâce à la production d’un fanzine publié avec les moyens du bord. C’est ainsi que naît en 2004 le journal Yi wiri ! ou « C’est fini ! », une expression forte qui évoque une sinistre page de l’histoire du Congo : le génocide des Laris de la région du Pool, pendant la guerre civile. Cette première expérience de publication papier vivra le temps de trois numéros, entre 2004 et 2006. Les dessins imprimés en noir et blanc représentent l’actualité politique nationale et internationale, agrémentés d’articles rédigés par Franck N’Zila et corrigés par Vani Massa, alors rédacteur en chef de l’hebdomadaire La rue meurt. Un résultat de huit pages photocopiées en N&B, format A3 plié vendu 300 Fcfa, un tirage progressif en fonction des ventes, qui atteignirent 375 exemplaires pour le n° 3. Les canaux choisis pour la diffusion (papeteries de quartier et marchés de la capitale) ciblent les fonctionnaires et suscitent « étonnement et fâcherie », selon Franck N’Zila. Après avoir rencontré un succès populaire dans les quartiers laris de Bacongo ou de Talangai à Brazza, Yi wiri ! cesse pour un temps d’être publié sur papier, faute de moyens (10 % du chiffre revient aux points de vente) et d’appui financier, mais aussi crainte d’attirer l’attention des élus sur ce ton délibérément sarcastique.

Un autre projet se dessine néanmoins : Tsimba & Koumou, une série satirique sur l’immigration, réalisée par Angéloo pour le scénario, et Bring de Bang pour le dessin. Dans les bidonvilles de Brazzaville, Tsimba le génie et Koumou son fidèle complice travaillent jour et nuit pour réaliser leur rêve : « Demain Paris » (titre du premier épisode). Un troisième personnage est l’élément perturbateur : Sarko, l’antagoniste de la série est aussi l'hystérique garde-frontière qui voit des immigrés partout et a pour seul objectif d’empêcher Tsimba et Koumou de pénétrer les frontières françaises... Nous sommes alors en 2004 ; le projet n'a pas encore pu voir le jour sous forme de publication. Mais aujourd’hui, un nouveau site Internet est en cours de création, qui remet Yi wiri ! sur le devant de la scène et accompagnera la publication du prochain numéro papier. Grâce aux plumes de Bring de Brang pour le dessin et de Franck N’Zila pour les textes, tous les événements de la vie politique congolaise sont passés au peigne fin : discours présidentiels, remaniements ministériels et autres déboires de la police. Cette fournée en préparation promet d’ouvrir une brèche nouvelle dans l’art de la caricature, que la presse congolaise n’avait guère l’occasion de publier jusqu’ici. « Tout simplement parce que le rire peut sauver des vies », annonce le site…

À travers la farce et le grotesque, grâce à leur sens de la critique, les artistes congolais de la presse tentent de poser leur pierre dans un univers médiatique plutôt impénétrable. Les hommes politiques continuent de les considérer comme des éléments perturbateurs de l’ordre public, tandis qu’ils ont pour leur part déjà trouvé une voie privilégiée pour amorcer un débat démocratique, dans un pays au tissu social encore déchiré par huit ans de guerre civile. Issus pour la plupart de quartiers en difficulté, ils sont avant tout témoins des problèmes sociaux et culturels d’une société en devenir, capables de parler de ses espoirs et d'insuffler du sang et des idées neuves au genre du dessin de presse. « Au-delà de l'aspect artistique, confie Willy Zekid, je pense que les congolais ont besoin de générer leurs propres médias, d'exprimer leur culture et de donner avant tout la parole aux jeunes, aux forces vives ; car c'est le climat d’ignorance et de désinformation qui induit les conflits civils. »