vendredi 24 avril 2009

Trains à grande vitesse


À l'occasion des Belles étrangères, novembre 2008 fut un mois de retrouvailles dans le Sud de la France avec un grand ami du Guatemala, Alan Mills. Ce road-movie littéraire en compagnie du grand maître de la fiction romanesque, Rodrigo Rey Rosa, a donné suite à l'écriture du petit recueil suivant, Trenes de alta velocidad, autrement dit TGV. Premier livre publié par les toutes jeunes (et non moins sauvages) éditions mexicaines Santa Muerte Cartonera, je me suis faite un plaisir de le traduire, connaissant la sensibilité de l'auteur...


TRAINS À GRANDE VITESSE
Alan Mills


Accro à une espèce de cocaïne littéraire, les livres circulent dans mon corps comme des morceaux de papiers éparpillés de El Ojo del Contemplador. Je n’irai pas jusqu’à dire qu'ils s’anéantissent, mais si : ils recomposent cette matière dans le style de n'importe quel modèle et font leurs armes dans son passé et son futur. Je pense que si ma tête était un continent, à l'intérieur on pourrait lire des milliers de papiers, divisés en infinies séquences de langues mêlées, tout comme si c’était une Babel avec des pays silencieux. À l'intérieur de ma tête, ces textes pourraient être doués de parole, proches dans l’image d'une portée d’hominiens transparents, qui engendrent une chose comparable à ce nouveau type de Grossesse Lexicale. En essayant de donner un corps à tout cette rêverie, ma langue rendra un souffle de vie à ces nébuleuses de mots et de symboles, les mouillant avec l'air de ma bouche et provoquant une nouvelle lecture dans les oreilles de ceux qui sont à l’extérieur de ma tête. Eux savent lire des signes en Braille sur son corps et ils me demanderont de les écrire tous. Moi je commencerai à croire que cet ensemble d'événements représente l'origine ou la genèse d'un vers.

[JE SENS UN AVORTON QUI REGARDE AUTREMENT]

Il est plus convenable
pour éclairer
tous les écrans morts,
les boîtes noires de l'amour,
d'apprendre le plaisir
du métier domestique,
et d’éviter de remplir l'Espace de poils,
une reconnaissance pour mille galaxies
baignées dans des miettes de pain
répandues dans l’appartement,
chaque assiette lavée
rappellera une propreté totale
ou la belle sorcellerie des heures
diurnes

[LES BOÎTES NOIRES DE L'AMOUR ENGENDRENT LA PROLIFÉRATION UNE MAISON PEUT ÊTRE ENVAHIE PAR DES MILLIONS DE CHEVEUX NOIRS TRACES DE SEL ET DE LA PEAU QUI SE DÉTACHE DE MOI]

Les boîtes noires de l'amour
sont attaquées
par une autre petite boîte, pleine de couleurs

[J'ai rêvé, endormi, que XX, CC, TT et LL me rendaient visite ; ils ne parlaient pas français mais ils se déplaçaient dans Paris avec une certaine familiarité. Ce rêve a beaucoup amusé RRR et il l'attribue au fait que ce soient eux, sûrement, qui rêvent d'être ici.]


Je me désensorcèle,
les arbres et les couleurs m’y aident,
il y a des anges partout,
maintenant je peux les reconnaître,
c’est très simple :
nous devons bien nous fier
aux marques de leur peau,
invisibles mais resplendissantes,
elles me rappellent un enfant survécu
d’une attaque de fourmis géantes,
puis s’est passé autre chose qui l'a fait rêver
de l'Afrique pleine de lacs de miel,
je crois qu'il la comparait à sa solitude
et à la nostalgie de sa vieillesse,
c’est comme si tout cela n’était que
le langage muet des anges.

[JE FAIS DES RÊVES TRÈS INTENSES MAIS JE LES OUBLIE]

La poésie est une action qui perfore la vie et lui ôte une grosse couche de fiction, dans ses pulsions elle choisit les symboles les plus oubliés : une fois sauvées de l'obscurité émergent de nouvelles parcelles illuminées, qui nous rappellent une armée d'insectes inouïs, dépourvus d’existence dans la sculpture invisible de ces mots, et dissolus dans le blanc d'une page qui n'a jamais respiré.

[LA POÉSIE EST UN TRAIN À GRANDE VITESSE]

La mer a disparu
en face de nos yeux,
ainsi nous ne regardons
qu’un concert excessif
de feuilles sèches et de couleurs,
l'eau s'est mouillée à elle-même
et maintenant elle nous semble la chose
la plus sèche qui se soit introduite
dans notre gorge,
ce sont les heures où je commence
l'apprentissage des humeurs épouvantables,
des scènes débiles de la chair devenue triste,
ma plume se meut toute seule,
comme une langue morte qui s'insurge
et se brise contre la fenêtre,
le train le plus lent qu’on ait jamais vu
semble sortir de mes yeux,
avec la violence de l'eau qui déjà ne mouille plus,
je suis une espèce de dune de sable volcanique
assiégée par la soif,
c’est ce que l’on commence par dire
pour oublier un passé qui s’est éclairci
depuis ce corps égaré,
le soleil est terrible, ne cesse pas
et me donne envie de lui changer de nom
pour qu'il ne sorte que dans les moments d'obscurité,
quand les mémoires de la tragédie dansent
sur ma peau à la manière d'un désir,
je sais que je vais oublier les pires de mes visions :
je fleurirai comme une mer
où les poissons respirent des étincelles.

[ICI COMMENCE UNE AUTRE MER]

ET LES FANTASMES QUE JE N'AI JAMAIS ATTEINTS : L’INCONVÉNIENT DE CET AMOUR : PERDU DANS CE QUI FAIT MAL JE TENDS VERS L'IMMOBILITÉ

Rien de tel qu’un nom,
pour illuminer les chemins
encore jamais imaginés,
quelques lettres et leur somme,
disséminant une forêt d'archétypes
pour notre avenir,
c’est la lumière d'une défaite
dans l'ombre, le scintillement
de quelque chose de mort dans l'air,
on sent ce vent pareil à un avorton
qui nous est resté à l'intérieur et nous lasse
avec de légères morsures édentées,
à peine une langue humide,
rien de plus qu'une lumière impossible à regarder,
il y a longtemps que nous sommes aveugles
et c'est cet avorton qui regarde pour nous.

[MAINTENANT UNE VISION OBSCURE QUE L'AVORTON COMMENCE À OUBLIER]

Tu avais plusieurs bouches
et plusieurs entrées toi,
il te semblait normal
que chaque orifice humide
soit garni de quelques sabres
de douleur et de haine véridique,
pareils aux flambeaux olympiques
d’un soleil dans le vide,
à les voir avec tant de négritude heureuse
tu as pensé qu'ils étaient bons
et que tous ces délicieux esclaves
jouiraient d’une vie de merveilles fluorescentes,
à sortir ou entrer en toi,
tu n'as jamais imaginé qu’une telle scène
représenterait un laboratoire à l’échelle moléculaire,
que ton corps habité serait un Jardin des Délices
où aucune de tes bouches ne serait capable de parler,
tu leur as rappelé une muqueuse envahie
par des siècles de luttes des classes et de guillotines dans la peau,
des fantômes blancs à l’intérieur des corps noirs
aussi brillants et sombres,
tout le lait qui a baigné ton visage
servira à peindre 250 fresques et 456
Chapelles Sixtines,
elles auront l'apparence de stalactites
qui pleurent à l'intérieur d'une grotte africaine,
et cette oeuvre s’appellera
Un métissage qui a échoué.

[MAIS TOUT GUÉRIT LA BELLE SORCELLERIE DES HEURES DIURNES GUÉRIT]

Je me désensorcèle,
les arbres et les couleurs m’y aident,
c’est comme si tout cela n’était que
le langage muet des anges.

[ANA = BOÎTE DE COULEURS]

Note finale :

Ce livre a été écrit dans les feuilles du livre AGENDA DE LA FIN DES TEMPS DRASTIQUES de Javier Peñafiel, tandis que je voyageais dans des trains à grande vitesse français, qui m'ont emmené dans les villes de Paris, Arles, Périgueux, Béziers et Montpellier, en novembre 2008.

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